Il y a quelques jours j’ai effectué ma première permanence garde à vue. Bien que je savais à peu près à quoi était cantonné le rôle de l’avocat en garde à vue (finalement à pas grande chose en définitive), il me restait quand même quelques interrogations sur le déroulement en elle-même de la garde à vue et aux modalités de celle-ci. Il ne s’agit pas dans cet article de faire un vade-mecum procédural de la garde à vue mais plutôt de vous livrer un récit de cette première expérience, forte et toute aussi délicate.
Les modalités de la désignation :
Il faut avant tout vous expliquer comment les avocats sont désignés pour les permanences garde à vue dans mon barreau. Tout d’abord, pas besoin de formation ou de tutorat comme au barreau de Paris par exemple. Chacun peut être volontaire et s’inscrire librement à tout moment. Nous sommes donc jetés dans le grand bain de la commission d’office assez rapidement dès la première année d’exercice. Ce n’est pas pour me déplaire de pouvoir m’inscrire aussi facilement. Il faut savoir se lancer, non sans une certaine pression évidemment. Je ne suis pas pénaliste de formation (certainement comme 60% des volontaires qui s’inscrivent chaque mois) mais cette appétence pour la défense pénale me poursuit.
“Dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à être assistée par un avocat. Si elle n’est pas en mesure d’en désigner un ou si l’avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu’il lui en soit commis un d’office par le bâtonnier.“
Article 63-3 -1 Code de procédure pénale
Chaque avocat s’inscrit donc chaque mois pour le mois suivant, sur une intervalle de temps d’une semaine, via l’intranet de l’ordre des avocats (via le logiciel Clip’a). Nous sélectionnons nos dates auxquelles nous souhaitons être volontaires et donc potentiellement désignés. Nous recevons la réponse assez rapidement ce qui nous permet de nous organiser assez facilement. Il est toujours possible d’échanger une permanence garde à vue avec un autre volontaire. Le système n’est donc absolument pas contraignant et il est même possible d’indiquer ses congés ! Je sais que cela ne fonctionne pas de la même façon dans tous les barreau et certains barreaux désignent les avocats pour les permanences.
Le jour de notre désignation :
Nous sommes d’astreinte du jour J à 8h du matin au Jour j+1 à 8h. J’ai pour l’instant choisi d’être volontaire le samedi ou le dimanche. Débutant tout juste ma collaboration dans mon cabinet, je préfère que cela n’impacte pas trop mon travail. Cela ne m’empêche cependant pas d’être désigné en semaine pour d’autres volontariats (sur le même principe) pour des permanences dans les chambres des métiers ou dans les mairies de quartier. Nous avons en tant qu’avocat ce rôle de “liant social” avec la population et je trouve cela très bien que nous puissions dispenser nos conseils à titre gratuit pour toutes les populations de manière anonyme et totalement confidentielle.
Pour en revenir à la garde à vue, dès qu’une personne placée en garde à vue souhaites qu’un avocat lui soit commis d’office, l’OPJ en fait la demande auprès de l’Ordre. Nous sommes alors appelés par une plateforme téléphonique (située dans la région parisienne) qui s’occupe de dispatcher les permanences en fonction des avocats de permanence. Il y a 6 avocats de permanence la semaine et 5 avocats le week-end. Nous pouvons être appelés sur tout le ressors du barreau.
Ma première permanence :
Pour ma première permanence, je me suis inscrit le premier dimanche du mois de Mars, pensant peut être, au fond de moi, que je ne serais pas appelé. J’avais pourtant bien préparé cette première permanence. Je m’étais préparé un mémo relativement aux infractions et surtout à l’intervention en elle-même (les droits de la personne en garde à vue notamment).
22h, ce même dimanche. Le téléphone sonne. Je suis appelé par le centre d’appel pour une bagarre de mineurs, violence aggravée. J’appelle l’OPJ : Placement à 20h et Audition à 8h le lendemain matin..J’appréhendais beaucoup l’audition du fait du jeune âge (15 ans) de la personne.
Le lendemain matin, 8h. Arrivé au commissariat de police. Pas de carte d’avocat avec moi (pour ma défense, elle ne m’a pas encore été envoyée), la justification de ma qualité s’est donc faite par un certificat d’inscription au barreau délivrée par le bâtonnier..
Je demande assez rapidement le PV de notification de placement en garde à vue. Soyons claire, celui-ci ne nous informe de l’identité de la personne, de la qualification , le lieu et la date de l’infraction pénale et le risque pénal et c’est à peu près tout.. L’avocat intervient à deux niveau : lors d’un premier entretien puis, dans un second temps, lors de l‘audition.
- l’entretien
J’avoue avoir eu beaucoup de mal avec ce premier entretien. Derrière une vitre, je vois apparaître la silhouette frêle d’un gamin de 15 ans sortir des geôles. Je vous assure que cette image marque. Sans minimiser les faits pour lesquels ce jeune était en garde à vue, on ne peut être insensible à cela et il n’avait certainement rien à faire là.
Un peu perdu et désorienté (une personne en garde à vue doit se délester de toutes ses affaires personnelles et ressent le besoin d’avoir des informations de l’extérieure ne serait-ce que lui donner l’heure et la date à laquelle nous sommes), je l’ai rassuré rapidement sur la durée de sa garde à vue (elle ne peut être supérieure à 24h dans le cadre d’un mineur mais l’OPJ ne se pressait pas pour lui l’indiquer…).
Il a fallut ensuite lui rappeler ses droits (celui d’appeler un membre de sa famille, d’être vu par un médecin, de s’alimenter..) et lui expliquer le risque pénal.
Je lui ai demandé de me raconter ce pourquoi il pensait être là. Lui rappelant également qu’il a le choix entre :
- Garder le silence
- Faire des déclarations spontanées
- Répondre aux questions
Je pensais qu’il était aussi important qu’il sache que lorsque l’ Officier de Police Judiciaire lui poserai une question, c’est qu’il a déjà une partie de la réponse. Attention donc à ne pas s’enfoncer dans des développements vaporeux…
Cet entretient ne peut excéder 30 minutes. C’est une durée très courte. Nous n’avons pas accès au dossier ni aux pièces et il faut bâtir une défense souvent approximative principalement axée sur la stratégie de réponse lors de l’audition.
- L’audition
L’audition était filmée. C’est une obligation dans le cadre d’une audition avec un mineur. Je vous passe les 5 tentatives de connexion de la caméra, sans cela ce ne serait évidemment pas drôle et nous ne pourrions pas pointer le manque de moyens flagrant de la justice..Heureusement elle a finie par fonctionner.
Nulle question ici de vous expliquer en détail les faits mais il s’agissait pêle-mêle d’une histoire de réseaux sociaux, de capture d’écran, de chantage tout ceci se terminant par une expédition punitive et un rendez-vous donné à un malheureux qui s’est quand même retrouvé avec une suspicion de traumatisme crânien.. La bande de jeune avait entre 13 et 15 ans…
L’avocat n’intervient pas ou peu durant cette audition. Il a la possibilité de poser des questions à la fin de celle-ci, de relire le PV d’audition avec la personne et de faire quelques observations écrites. C’est une vraie frustration de ne pas pouvoir aller plus loin et cette présence de l’avocat lors de la garde à vue fait vaguement penser à une apparition calibrée voire presque muselée..Elle arrange bien l’OPJ qui reste le chef d’orchestre de cette audition.
Qu’à cela ne tienne, l’avocat se doit d’être là comme une présence rassurante, bienveillante mais toujours ferme et vigilante du respect du déroulement de la garde à vue.
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Cette première permanence s’est déroulée sans accroc notable (mis à part ce problème de caméra.. l’OPJ voulait faire sans au départ, avec l’accord de mon client..). Je me suis déjà inscrit à de nouvelles permanences pour continuer à penser que l’avocat est et restera utile lors de ces premières heures de privation de liberté.
Petit point sur la rémunération de ces permanences et pour que vous soyez au courant de tout. L’entretien est rémunéré 60 Euros HT. L’entretien suivi de l’audition est rémunéré 300 Euros HT. Nous remplissons un formulaire CERFA dûment complété comme celui présent ci-dessous que envoyons ensuite à la CARPA (la Caisse Régionale des Avocats). C’est donc un complément non négligeable pour les jeunes collaborateurs qui débutent.